Ingénieur centralien, fondateur de BCO2 et auteur de Airvore ou la face obscure des transports, Chronique d'une pollution annoncée (Écosociété 2018), Laurent Castaignède s'est confié à notre équipe au sujet de la mobilité hydrogène.
La mise en place d'une filière hydrogène dans la mobilité soulève plusieurs questions. Le spécialiste de l'Analyse de l'Impact Environnemental, Laurent Castaignède donne sa vision du futur du véhicule à hydrogène et la place de celui-ci dans un monde où l'électrique prend d'ores et déjà une place importante dans les prospectives.
« La démocratisation de l'Hydrogène dans la mobilité n'est absolument pas une priorité carbone ».
Comment voyez-vous l'avenir de l'hydrogène, de sa production ainsi que le futur des véhicules à pile à combustible ?
Laurent Castaignède : La production d'Hydrogène, essentiellement produit par vaporeformage du méthane donc très émettrice de CO2 en amont, représente aujourd'hui environ 2% des émissions mondiales de gaz à effet de serre dans le monde ; cet hydrogène « fossile » est notamment destiné aux raffineries et aux industries chimiques comme celle des engrais. Sa substitution par de l'hydrogène "vert" nécessite de multiplier les sources d'énergies renouvelables, ce qui n'est pas envisageable à moyen terme compte tenu de tout ce qu'on demande à ces dernières, notamment de substituer la production actuelle d'électricité au charbon. Multiplier les véhicules à pile à combustible augmenterait une demande en un produit non globalement substitué ce qui n'est , sauf cas particuliers, pas viable si l'on cherche à diminuer nos émissions de GES.
Concernant la mobilité, il faut ajouter que la mise en service de véhicules à pile à combustible nécessite la création de stations-service spécifiques ainsi qu'un développement important de cette technologie dans son ensemble. Par conséquent, des investissements incertains et massifs doivent voir le jour pour envisager un futur à ce type de véhicule et le chemin semble encore long, là où une simple livraison du combustible à l'industrie offre un intérêt carbone immédiat.
D'après vous, quelle serait la place idéale de l'hydrogène au sein de nos déplacements ?
Laurent Castaignède : Les zones où il est impératif de réduire notre pollution de l'air, c'est à dire les zones urbaines, sont une cible de choix. Dans celles-ci, l'hydrogène peut, selon moi, avoir une place. Par exemple, le remplacement des bus diesel par des bus hydrogène semble intéressant puisqu'ils ne vont rejeter que de l'eau -également du NOx en très faible proportion-. Il en est de même pour les flottes de taxis et de véhicules de livraison qui pourraient rouler continuellement, grâce à leur importante autonomie, à la différence des véhicules électriques à batterie dont un usage quotidien intensif est limité.
Cependant, je ne vois pas M.Tout-le-monde se servir d'un véhicule à hydrogène. L'électrique à batterie dispose d'un meilleur rendement et l'autonomie plus faible peut convenir à la majorité des usages des véhicules particuliers tels les trajets domicile-travail contraints. Le remplacement des autres modes de transport tels que les poids-lourds, trains ou bateaux ne sont pas une priorité puisque leur utilisation se situe presque intégralement hors agglomération.
Comparé au véhicule électrique à batterie, quels sont les avantages et inconvénients du véhicule à hydrogène?
Laurent Castaignède : Tout d'abord, l'impact environnemental de la fabrication de ces deux modèles n'est pas le même. Alors que le véhicule électrique nécessite des métaux rares (ayant un impact environnemental fort), le véhicule hydrogène a seulement besoin d'un réservoir et d'une pile à combustible (comprenant certes du platine). Ainsi, la fabrication des composants spécifiques du véhicule hydrogène a un impact plusieurs fois moindre sur l'environnement que ceux du véhicule électrique.
Second point, le rendement amont en électricité du véhicule. L'hydrogène « vert » étant fabriqué à partir de l'électrolyse de l'eau, il est donc intéressant de comparer les besoins en électricité d'un véhicule hydrogène avec ceux d'un véhicule électrique à batterie. Cette comparaison montre qu'il faut entre 2 et 3 fois plus d'électricité pour un véhicule H2 que pour un véhicule électrique. Ainsi, ce rendement est largement en faveur du véhicule électrique qui pousse moins à multiplier les sources nouvelles de production d'électricité qui sont déjà notoirement insuffisantes.
Du fait de ces données, chacun de ces véhicules semble avoir une place dans la mobilité de demain mais pas pour les mêmes usages. La voiture électrique à batterie, avec son autonomie limitée, pourrait être déployé massivement en ville à la condition d'être utilisée intensivement. En effet, l'achat d'un véhicule "propre" pour un usage de l'ordre de quelques kilomètres par jour, ou quelques dizaines de kilomètres par semaine, n'est en réalité pas une bonne idée car il gaspille les batteries. Ce type d'usage convient bien, aujourd'hui, à des véhicules essence hybrides, dont les petites batteries peuvent être plus facilement multipliées. Pour le cas particulier des véhicules plutôt urbains effectuant plus de 400 km chaque jour, l'hydrogène semble être la solution idéale mais comme évoqué précédemment, seuls les taxis, véhicules de livraison ou bus remplissent cette condition.
« Un futur "electricgate" doublé d'un "hydrogengate"».
Un des enjeux majeurs de la mobilité est de prioriser sa transition vers une certaine forme de sobriété. Aujourd'hui, il n'est pas rare de voir un SUV électrique présenté comme "propre" alors qu'il mobilise plus de 500 kg de batteries. Ces centaines de kg de batteries seraient bien plus pertinentes dans quelques dizaines de scooters électriques par exemple qui représentent une part significative de la pollution citadine tant aérienne que sonore. Ainsi, si nous laissons le marché agir tel qu'il s'oriente aujourd'hui, multipliant les bolides électriques ostentatoires, nous verrons surgir dans quelques années l'electricgate et l'hydrogengate, situation où l'on aura entamé une substitution du parc automobile et où l'on se rendra compte que les émissions de GES et la pollution urbaine n'auront pas baissé faute d'avoir affecté les batteries et les piles à combustibles sur les usages prioritaires.
Nous entendons également beaucoup parler de l'hydrogène dans le secteur de l'aviation civile, quel est votre avis sur le futur de cette technologie ?
Laurent Castaignède : L'aviation propulsée à l'hydrogène n'est rien d'autre qu'un nouvel écran de fumée. Premièrement, les seuls avions destinés à voler avec cette technologie sont au mieux les moyen-courriers soit une seule part de l'ensemble de l'aviation civile. Second point, trop souvent négligé par les promoteurs d'une aviation débridée, la production de traînées de condensation -traînées blanches dans le ciel- puisque l'oxydation ou la combustion d'hydrogène rejette d'encore plus importantes quantités d'eau que le kérosène. Or, cette vapeur d'eau est le premier contributeur du secteur de l’aviation au changement climatique, devant les 2,5% d'émissions de CO2 des chiffres officiels, avec un impact global de 5 à 6 %.. A titre de comparaison, pour une dépense énergétique similaire, un avion propulsé à l'hydrogène va émettre plus de 2,5 fois plus d'eau qu'un avion propulsé au kérosène donc potentiellement autant de fois plus de traînées blanches. Ainsi, à supposer que l'on supprime les émissions de CO2 de la combustion du kérosène, à la réserve près de la concurrence sur les sources d'approvisionnement d'hydrogène « vert » précédemment évoquée, on risque de renforcer des traînées qui ont elles aussi un impact sur l'environnement.
Enfin, il ne faut pas oublier que cet avion à hydrogène n'est qu'au stade de recherche et non de développement, et cela jusqu'en 2035 -au minimum- ce qui laisse envisager que les différentes flottes d'avions ne seront pas remplacées avant 2040. Le lobby de l'aviation ne peut que se réjouir d'un tel délai et de telles subventions, là où la priorité serait de contingenter le parc mondial et de renouveler d'urgence les flottes en remplaçant les réacteurs par des turbopropulseurs, de sorte de voler moins vite et moins haut.
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