Désireux de défendre l'intérêt général, Michel Gay nous partage ses idées sur le sujet complexe qu'est l'hydrogène. Il est membre de l'Association des écologistes pour le nucléaire (AEPN), de la Fédération Environnement Durable (FED), de la Société Française d'Énergie Nucléaire (SFEN) et l'auteur de Au diable les énergies renouvelables ou encore de Vive le Nucléaire Heureux !, livre qui lui a permis de recevoir le prix Yves Chelet décerné par la Société Française d'Energie Nucléaire (SFEN / PACA).
Quelle est votre vision de l'Hydrogène ?
Michel Gay : L’hydrogène (H2) est une terrible illusion comme énergie alternative aux combustibles fossiles. Les médias semblent fascinés par ce gaz perçu comme une panacée, mais entre la science et la perception publique ou politique, il y a un abîme.
Cette erreur commune persiste notamment parce que Jeremy Rifkin, un gourou dans le domaine de l’hydrogène, a présenté « The Hydrogen Economy » dans laquelle ce gaz remplacerait les combustibles fossiles pour la production d’électricité et les transports.
Bon orateur répétant son mantra depuis maintenant plus de 15 ans, Rifkin a réussi à convaincre de nombreux politiciens, en particulier dans l’Union européenne (UE), que la révolution de l’hydrogène était en marche. Mais l’effet magique « abracadabra » ne fonctionne pas dans la science et l’économie.
« L'Hydrogène a des propriétés hallucinogènes »
Selon vous, l'Hydrogène a-t-il un rôle à jouer dans la transition énergétique?
Michel Gay : L'usage énergétique de l'H2 est actuellement quasiment inexistant au niveau mondial (1% pour les fusées) parce qu'il est difficile à manier, conditionner, transporter, stocker… ce qui le rend peu pratique à utiliser et très coûteux à exploiter.
Dans ces conditions, en dehors d’opérations publicitaires ciblées et de projets expérimentaux subventionnés par les contribuables, l’H2 ne succèdera certainement pas au pétrole ni au gaz naturel (méthane) avant longtemps.
Il faut surtout retenir que l'économie hydrogène consomme en amont 75 % à 90 % de l'énergie produite par une autre source d'énergie (nucléaire, vent, soleil, biomasse,…) pour n'en livrer que 10 à 25 % à l'utilisateur final à un coût durablement élevé.
Il faudra vraiment en avoir besoin pour gaspiller autant d'énergie et donc … d'argent.
En tant qu'énergie pouvant répondre aux besoins de l'humanité, l’H2 « propre » a des propriétés euphorisantes et hallucinogènes, mais c’est une difficile solution d'avenir qui risque malheureusement de le rester longtemps.
Autre problème, l'utilisation d'un hydrogène gris émet des quantités de CO2 comparables à un véhicule essence et l'hydrogène vert, en particulier celui provenant de panneaux photovoltaïques n'est en réalité pas si "vert" puisque ces panneaux sont fabriqués en Chine où l'électricité est issue de du charbon et du gaz.
Enfin, le déploiement à grande échelle de cette technologie nécessiterait une centaine de térawattheures (TWh) d’électricité issue de l’hydrogène pour électrifier seulement les voitures et les utilitaires représentant les trois-quarts des émissions des transports routiers.
Cela nécessite environ 400 TWh d'électricité (soit autant que l’actuelle production d’électricité nucléaire française) pour fabriquer cet hydrogène.
La seule solution réaliste serait donc le doublement de la production nucléaire…
LE DUEL : Moteur à combustion interne (MCI) / Batteries Lithium-ion / Hydrogène
Michel Gay : Une voiture « moyenne » actuelle nécessite environ 15 kWh d’énergie mécanique utilisée « aux roues » pour parcourir 100 km.
Sachant qu’il faut tenir compte de rendements et de pertes diverses, pour parcourir 100 km il faut donc :
7 litres de carburant (contenant 70 kWh mais le rendement global est de 30%) achetés « à la pompe » pour une voiture avec un moteur à combustion interne (MCI)
ou 20 kWh d’électricité « à la prise électrique » (celle payée par le consommateur) pour « remplir » 100 kg de batteries afin d’alimenter un moteur électrique (le rendement est de 75% dans la chaine électrique de traction)
ou 50 litres d’H2 comprimé à 700 bars (soit 1 kg) dans un réservoir pour alimenter une pile à combustible (PAC) qui ensuite produira l’électricité. Les propriétés physiques de l’H2 en font un gaz encombrant. À la pression atmosphérique, 3000 litres d’H2 contiennent l’équivalent en énergie d’un seul litre d’essence (9 kWh). Un kg d’H2 contient 33 kWh mais le rendement global est de 45 % entre la fabrication et « la roue » (compression (85%), PAC (60%), et chaine de traction (85%)).
L’H2 liquide à -253 degrés posant des problèmes encore plus importants (isolation, évaporation, liquéfaction,…), cette forme n’est pas prise en compte dans cet article.
Les ressources en carburant sont encore d’un siècle au moins en fonction du prix de vente. De plus, les ressources en matières premières pour la fabrication des batteries (lithium, cobalt, manganèse, nickel,..), bien que concentrées aujourd’hui encore dans certains pays (Argentine, Chili, Bolivie, Chine), semblent ne plus poser de problèmes au fur et à mesure des nouvelles découvertes (Algérie, Portugal) issues des récentes recherches et de la possibilité de recyclage des métaux rares.
« L'avenir proche appartient toujours aux véhicules à carburant, l'avenir plus lointain appartient probablement aux véhicules électriques à batterie Li-ion et non aux véhicules à hydrogène qui sont, de plus, bien plus chers à l'achat et à l'usage. »
Les facteurs aggravants de l'hydrogène dans la mobilité
Michel Gay : En tenant compte des diverses pertes, des rendements, du stockage et des transports, la production d’hydrogène par électrolyse de l’eau nécessite 66 kWh d’électricité pour produire 1 kg d’H2 contenant 33 kWh d’énergie « chaleur ».
Mais ce kg d’H2 restituera seulement 16 kWh d’énergie mécanique « aux roues » dans un véhicule après transformation en électricité dans une pile à combustible, soit seulement 25% de l’électricité injectée en entrée. Et parcourir 100 km avec une voiture moyenne nécessite environ 1 kg d’H2.
Quelques constructeurs ont commencé à fabriquer des véhicules électriques à pile à combustible à hydrogène, mais leur coût élevé et la disponibilité limitée des stations de ravitaillement en hydrogène limitent leur diffusion et conduit dans une impasse.
Malgré des années d’efforts de l’industrie et des pouvoirs publics, il a bien fallu constater l’échec de l’industrialisation des piles à combustible, même pour un usage stationnaire. Même l’Allemagne a abandonné cette filière dans laquelle elle s’était fortement investie.
Tant que le coût de production ne sera pas divisé par un facteur d’au moins dix – ce qui est improbable dans un avenir prévisible – le développement significatif des véhicules à hydrogène n’aura pas lieu.
Dans un marché mondialisé, l’avenir de la production automobile ne dépend pas de "niches pour riches".
L'Hydrogène pour d'autres usages comme les trains a-t-il plus de raisons de s'imposer que pour la voiture?
Michel Gay : C'est une technologie en vogue puisque le député Benoit Simian proposait, dans son rapport de 2018 sur le verdissement du transport ferroviaire, des trains fonctionnant avec de l'hydrogène vert (transformé ensuite en électricité par une pile à combustible).
L'objectif de ce verdissement est de remplacer les trains diesel circulant sur les voies non électrifiées du réseau. C'est pourquoi le constructeur Bombardier proposait d'électrifier les lignes restantes et d'utiliser des trains "hybrides" sur les quelques lignes encore non électrifiées. Cette solution représente un optimum technique et économique bien qu'elle soit tout de même plus onéreuse que le diesel actuel. Ce train serait alors beaucoup moins dangereux et surtout plus économique que le développement d'une filière entière de trains hydrogène.
D’autre part, le transport ferroviaire étant un faible contributeur national aux émissions de gaz à effet de serre - 0,4% des émissions de GES du secteur dans les transports -. Au vu de ces chiffres, est-il vraiment utile de dépenser des millions, voire des milliards d'euros pour "si peu"? De plus, ces sommes se traduiraient par une augmentation significative du prix du billet (déjà subventionné à 75% par les contribuables via les Régions), et entraînerait un report des Français vers la voiture qui émet de 10 à 30 fois plus de CO2 par passager transporté selon le rapport Simian.
L'Hydrogène, rien de plus qu'un rêve ?
Michel Gay : L’utilisation de l’hydrogène suscite depuis 60 ans un engouement inversement proportionnel à sa réussite, notamment dans la mobilité. Les pouvoirs publics ont voulu mettre en avant cette solution avec des subventions conséquentes, peut-être pour faire rêver leurs électeurs. Mais les impitoyables bilans énergétiques et financiers ont toujours été décevants car les lois de la physique ne se soumettent pas aux décisions politiques.
« En favorisant des investissements coûteux dans le développement de l’hydrogène « renouvelable » pour la mobilité alors que les hôpitaux, et plus généralement la santé, sont délaissés depuis des années comme le montre l’incurie de la France et de l’Europe face à la pandémie du Covid-19. »
Aujourd’hui, le regain d’intérêt pour l’hydrogène suscité par la médiatisation de la transition énergétique entretient une illusion persistante perçue comme étant devenue une réalité mais le mur des coûts est solide.
"Comme le monstre du Loch Ness qui réapparait régulièrement, ce mythe de la civilisation hydrogène replongera bientôt une nouvelle fois en eau profonde, engloutissant avec lui des centaines de millions d'euros d’inutiles subventions publiques."
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